Interview
L’ Art comme Plongeon Sans Peur
Si vous pouviez collaborer avec un artiste, vivant ou mort, qui choisiriez-vous ?
Louise Bourgeois, Nan Goldin, Georg Baselitz, Basquiat. Des gens qui savaient que l’art pue la sueur, l’urine, et parfois la sainteté. J’ajouterais Paul Beatriz Préciado au mélange—sa vision crue du corps comme champ de bataille politique dans Testo Junkie remuerait tout.
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​Le corps est souvent au centre de votre travail. Comment l’utilisez-vous pour exprimer vos idées et émotions ?
Le corps est de la viande. Des doigts dedans. Chair, sang, fluides. Pas une métaphore, pas une « idée ». C’est la matière brute. Il hurle l’émotion tout seul. Comme le dit Deleuze dans L’Anti-Œdipe, c’est une machine de désir, un flux d’intensités—rien de propre, juste de la vie brute et désordonnée.
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​Pensez-vous que l’art joue un rôle dans la libération sexuelle ?
Toujours. Mais chaque révolution sexuelle finit comme une orgie sous Xanax : furieuse au début, puis tout le monde sous les couvertures, à regarder Netflix. La société digère tout, recrache des catégories, des hashtags, des slogans inclusifs. Le mouvement est mort. Alors oui, remettez le sexe dans l’art. Ou enterrez-le. La critique de Préciado des normes de genre comme construction pharmaceutique me pousse à repenser la libération au-delà des binarités.
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Qu’est-ce qui a influencé votre réflexion sur le sexe dans l’art ?​
Culturellement ? Pornographie, érotisme, BDSM, trans, burlesque. Ma bibliothèque était une boutique de sexe en papier. C’est ainsi que j’ai formé ma main. Mon œil. Mon cerveau. Maintenant, internet a tué le mystère : 250 catégories minimum si vous voulez une pornographie « respectable ». Artistiquement ? Bourgeois, Claudel, McCarthy, Kern, De Kooning, Lucian Freud, Goya… Aussi Kate Moss, Nastassja Kinski, Luba, Keisha Grey, ma femme, des fesses qui dansent dans la rue, bars, plages, le cerveau quand il est dur. Et le Testo Junkie de Préciado—ce manifeste dopé à la testostérone sur la plasticité du corps. Les flux de désir de Deleuze dans L’Anti-Œdipe aussi—tout ça. De quoi remplir une vie.
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​Avez-vous des tabous ?
Pas vraiment. Trauma, viol, violence—là, je ralentis. Exemple : Infante. Maillots de bain roses en plastique, petits seins en caoutchouc. Ma réponse à l’affaire Dutroux. Il me fallait de la distance, sinon ça m’aurait tué. Je me suis enfui à Buenos Aires. De l’oxygène avant de replonger dans la fange. Je me souviens encore de Knokke, le casino, la rétrospective David Hamilton. Des posters géants de filles nues. Des parents disant aux enfants dans le sable : ferme les jambes. C’est le monde. C’est le vertige.
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Comment le sexe façonne-t-il votre art ?
Une curiosité sans fin. Le sexe, c’est tout : amour, performance, sueur, dégoût, parfum, pourriture, laideur sublime. Mon art est le buffet de tout ça. Beauté et saleté, bras dessus bras dessous. L’idée de Deleuze du corps sans organes résonne—le sexe comme territoire de devenir, pas juste un acte figé.
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Essayez-vous de provoquer, séduire, choquer ?
Non. Mais la provocation est dans la matière. Je me contente d’appuyer sur play.
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​Art érotique vs art pornographique ?
Demandez à un comptable.
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Pourquoi le rouge ?
Parce que ça a un goût. Ça sent. Sang + rouge à lèvres = cocktail instantané. Je n’utilise pas la couleur pour représenter. Je l’utilise pour lécher, pour mordre.
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​Quels artistes contemporains vous inspirent ?
Ceux qui sont sincères. Obsédés. Qui ne trichent pas. Bourgeois. McCarthy. Newton. Mapplethorpe. Sherman. Araki. Et tous les autres qui n’ont pas peur de se salir. Le démantèlement sans peur des normes de genre par Préciado m’inspire aussi.
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​Cette exploration est-elle une confrontation avec vous-même ?
Pas une confrontation. Un plongeon. Comme plonger dans une fosse septique avec une lampe frontale. Parfois, on trouve une perle dans la merde. La notion de devenir-autre de Deleuze guide ce plongeon—lâcher le soi pour trouver autre chose.
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​Comment la peinture transforme-t-elle vos émotions ?
Préparation, oui. Canalisation, jamais. Quand ça vient, ça explose. Sinon, c’est mort-né.
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​Votre art imite-t-il la réalité, la transcende-t-il, ou la provoque-t-il ?
Imitation ? Jamais. Trop vulgaire. Transcendance ? Oui. Provocation ? Peut-être, par accident. Le concept de Deleuze de l’art comme ligne de fuite me pousse vers la transcendance.
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​Explorer les tabous, est-ce par peur ou par curiosité ?
Curiosité. La drogue la plus dure.
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​Si vous ne pouviez garder qu’un seul matériau ?
L’encre de Chine. Parce qu’elle ne pardonne rien. Vous foutez en l’air, ça reste.
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​Si votre art était un plat ?
Huîtres gratinées au champagne. Fraîcheur, sperme, bulles.
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Le sexe dans votre art—est-ce provocation, célébration, exploration ?
Exploration à célébrer. Avec des bougies ou des jouets sexuels, peu importe. La vision de Préciado du sexe comme acte politique ajoute une couche à cette célébration.
Comment réagiriez-vous si quelqu’un disait que votre art est trop explicite ?
Je rirais. Comme si on pouvait être « trop » vivant.
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Does art make sex more beautiful or uglier?
Les deux. Comme la vie.
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​Où se situe la ligne entre art et obscénité ?
La qualité. Un mauvais vinyle est obscène. Un bon disque, jamais.
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​L’art a-t-il le droit de choquer ?
Bien sûr. Sinon, c’est de la décoration. Je ne vise pas à choquer. Mais si ça choque, c’est que ça a touché.
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​Si vous pouviez exposer dans un lieu inhabituel ?
Versailles. Faire twerker les murs dorés.
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​Quel est le rêve le plus étrange que vous avez fait à propos de votre art ?
Avertissement parental.
